Le début des ennuis pour Souny[pv Raquel]

-Ouff…T’es une vraie tigresse ma poule.

Je ramasse ma petite culotte près de mes chevilles et l’enfilent précipitamment tandis que le mec tente de faufiler sa vilaine patte entre mes cuisses chaudes et humides. Aille le cave ! On vient juste de se farcir l’un et l’autre ! J’suis peut-être une bête en manque de sexe, mais il y a une certaine limite à respecter du genre : « tu ne pourrais rien soutirer à mon pauvre clito épuisé » ! Donc, morale de l’histoire, LÂCHE ÇA !

Ma main agrippe son poignet que je repousse sans ménagement. Oh que non, tu m’as eue une fois, tu ne m’auras pas deux fois. J’ai eu ce que je voulais, ce que je désirais depuis ce matin, maintenant va ! Irritée, je replace mes bas de nylon au niveau de mes cuisses, je rajuste ma jupe froissée avec aigreur et m’empresse de sortir de la cabine. Le type me suit. Mon regard tombe sur le miroir au-dessus de l’évier et j’y vois une jeune fille à la tignasse emmêlée d’où jaillit quelques plumes d’un noir métallique, une jeune fille au maquillage défait et reluisante de sueur.

-T’es vraiment une brute, dit-il d’une voix frétillante.

Je le vois qui s’approche de moi, je le sens qui frôle son membre éteint contre mon cul. Il y aurait mis un peu plus d’ardeur si je ne m’étais pas distancée de quelques pas. Ah les hommes…ça veut toujours fourrer des damoiselles aussi belles que moi. Bon, maintenant, on se poudre un peu, on s’assure que notre image est séduisante et parfaite. Une fois la séance de beauté terminée, je pivote avec le gars musculeux qui me fixe avec avidité, adossé contre la porte, les bras croisés sur sa poitrine. Ses cheveux bruns sont plaqués contre son front, ses yeux verts pétillent d’envie et son sourire pervers m’annonce ses pensées peu chastes.

-Remets-toi l’grand, dis-je en positionnant mes poings sur les hanches. J’ai juste voulu une petite baise torride pour me remettre d’aplomb.

Je lui fais cadeau de mon plus beau sourire avant de sortir des toilettes. La première règle lorsqu’on s’envoie en l’air avec un inconnu est de se sauver le plus rapidement possible. Ouais, c’est ma façon de fonctionner. Du sexe et ensuite plus rien. Pourquoi ? J’sais pas trop. J’aime pas les relations sérieuses ou encore les liens qu’on pourrait créer avec un mâle. Ce sont tous des cons. Des wanna be machos qui ne sont pas capables de se taper une meuf comme du monde. Oh … dieu pourrait pas m’envoyer un vrai mâle ?

Je longe le corridor surpeuplé et empestant l’humidité et la chaleur pour ensuite débarquer dans une salle bondée et bruyante. Au bar, je vois une dizaine de personnes siroter leur chope de bière, des groupes d’adolescents stupides et baveux discutent à des tables, une musique résonne des haut-parleurs. J’aime bien ce pub. Il est plutôt tranquille et on y sert de la bonne boisson alcoolisée, pis aussi…il y a de la bonne marchandise masculine.

Bon, je traverse la pièce et trouve une petite table bien située près d’une fenêtre ouverte où une brise fraîche s’infiltre par moment, venant ainsi me caresser les épaules, la gorge et le visage. J’étais en train de me questionner sur ce que j’allais aller me chercher lorsque la table s’ébranle légèrement, m’indiquant qu’on vient me tenir compagnie. Ouff… J’ai pas envie de voir du monde, c’est trop difficile à comprendre ? Je me détourne de la fenêtre pour…fusiller…du regard…un squelette blafard…

-Raquel ?? je m’écrie, surprise. Qu'est-ce que tu viens faire ici ??

C’est ça que le bon dieu m’envoie ? Oh … putain !

Cet endroit me rappelle beaucoup notre première rencontre douce Aurélie. J'aimerais bien t'y croiser, mais je sais que les chances pour que ça arrive sont inexistantes puisque je t'ai dit de m'attendre au manoir, et que tu fais toujours exactement tout ce que je te dis… Tu gardes la maison au chaud pour le retour de ton maître. C'est bien, mais des fois, comme dans des occasion comme celle-ci, j'aimerais bien que tu désobéisses, que je puisse te croiser au détour d'un couloir et te demander par quel malheureux hasard tu te retrouves ici. Là tu me dirais que tu avais envie de me voir, et moi je dirais que tu es une mauvaise chienne parce que tu ne m'as pas écouté, puis je t'entrainerais au loin et te battrais jusqu'à ce que tu ne puisses plus bouger pour te punir d'avoir désobéi… Oui, comme j'aurais aimé que tu te trouves ici. Et comme tu aurais apprécié que je te batte, comme tu m'aurais remercié de t'avoir accordé mon toucher.

La musique dans ce pub est tout ce qu'il y a de plus banal. Pour moi, c'est du bruit pour du bruit. Ces gens qui crient pour s'entendre m'écorchent les oreilles, me donnent envie de les écorcher vifs. N'était-ce d'ailleurs pas pour cette raison que j'étais venu ici ? Pour une petite tuerie ? Je savais qu'en entrant dans un endroit de ce genre j'aurais des envies de meurtre. Je regarde les gens autour de moi, qui s'amusent alors que moi je grince des dents à cause du bruit, et mon visage se peint d'étonnement lorsque je crois le regard d'une donzelle que je reconnais. Lentement, je m'approche de sa table puis m'y assieds, le regard luisant de convoitise en lorgnant cette poitrine qu'elle a l'air d'aimer mettre en valeur. Elle me crie quelque chose, mais tout ce que je réussis à entendre au début, c'est mon nom. Pour les autres cette musique n'est probablement pas si forte, mais moi, je me bouche mentalement les oreilles pour qu'elle ne m'atteigne pas… bloquant un peu le reste en même temps. Ce n'est certainement pas ici que je vais discuter avec elle.

-Suis-moi, je dis doucement en lui prenant fermement le poignet et en la tirant à ma suite.

Je l'entends couiner de surprise alors qu'elle est forcée à se lever et à trottiner à ma suite, mes jambes trop longues la distançant même au rythme de ma marche. J'évalue les divers lieux où je pourrais l'emmener, puis j'opte pour les toilettes. C'est tranquille et au pire du pire, je n'aurai qu'à virer une ou deux filles. À ma grande surprise, ce n'est pas une fille que je trouve en ouvrant la porte, mais un mec et une fille. Un mec qui d'après son air a déjà eu du cul mais essaie de se taper une autre meuf. Je tousse avec bruit. Le garçon se raidit en me voyant, mais ce n'est rien comparé au regard qu'il lance à Souny. Je ne croyais pas qu'une fille de ce genre pouvait effrayer les gens plus que moi. Enfin bon… La fille finit par sortir, puis je me tourne vers Souny.

-Tu as dis quoi tout à l'heure ? je demande.

-Je t'ai demandé ce que tu faisais ici ! piaille-t-elle, libérant son poignet un peu rougi par mon étreinte solide.

-Cela ne te regarde pas, fillette, je persifle.

Si je lui disais que j'ai l'intention de tuer lentement jusqu'au dernier rat de cet établissement, elle risque de ne pas être très coopérative pour la suite.
-Tu as pensé à ma proposition ?

-T’es stupide toi, j’dis en souriant.

Raquel fronce les sourcils, n’appréciant pas vraiment la remarque que je viens de lui faire. J’éclate de rire et me contemple dans le miroir en face de moi. Oups…Il me manque du rouge à lèvres et mon fond de teint semble avoir coulé durant ma petite baise avec le mec qui vient tout juste de sortir. Marmonnant sous cape, je sors ma trousse de maquillage et examine la marchandise tout en évaluant les dégâts causés par le grand dadais qui n’arrêtait pas de plaquer ses mains puantes contre mon visage. Le supposé ange se déplace sur ma gauche, se plantant derrière moi, inclinant la tête vers la droite, s’humectant les lèvres comme s’il était songeur.

-Quec’chose ne va pas, Raquel ? je demande en choisissant mon fond de teint.

-Pourquoi te maquilles-tu ?

Sa question me laisse perplexe. Pourquoi je me maquille ? Humm … Parce qu’au début…ça frustrait ma mère que je me peinture de la sorte, ensuite c’est devenu…une marque de commerce, une façon, pour moi, de cacher c’que j’suis. J’sais pas trop. J’ai pris l’habitude de me couvrir le visage de dix mille trucs.

-J’pourrais te retourner la question, m’grand !

Je plisse les paupières en apercevant une plume surgir au-dessus de ma tête. D’une main habile, j’agrippe la saloperie de plume et l’arrache furieusement. Ouch ! CROAK ! Mais ça fait un mal de chien, ça ! Espèce de plume de mes fesses ! J’vais me raser la tête, vous allez voir ! J’en aurais plus ! C’est maman qui sera contente …

-Ahahahaha !! Craaaaak !!! Une plume !! T’as vu ça Raquichou !! Me demande comment elle a atterri là …

Me raser la tête ? Maman voudrait me tuer…Oh … Oh … Moi qui cherchais justement une idée pour la choquer davantage. J’pense que Raquel soupire de découragement avant de prononcer silencieusement le surnom que je l’ai attribué. Hum … J’aurais dû le nommer par son vrai nom…ça pas l’air d’un type qui aime les surnoms. Pourtant, suis si habituée avec mon ti Dydy le Dildo de Dylan.

-Ma proposition ? répète-t-il.

Je stoppe net ma séance de maquillage et me mors les lèvres, mon reflet me renvoie l’image d’une femelle indécise, vachement charmée par la proposition, mais craignait de se mettre dans le caca. On dirait que Raquel voit mon hésitation et en profite au maximum. Il s’approche de moi, touche l’une de mes épaules et me force à lui faire face. Chiasse…Me souvenais plus qu’il était aussi grand … J’lui arrive tout juste aux pectoraux, espèce de grande perche. C’est drôle, ses gestes sont…presque doux…Ils sont fermes, mais pas brusques. Il paraît moins sauvage qu’à notre première rencontre…Peut-être qu’à ce moment-là…il était vraiment en colère contre moi …ou bien il essaie de me manipuler …

-J’sais pas trop… J’n suis pas vraiment convaincue des bienfaits de cette proposition…Tu comprends…Tu veux quoi…en gros ?

Pas convaincue dis-tu ? Oh mais je peux faire beaucoup pour te convaincre. Je peux me comporter en véritable prince charmant jusqu'à ce que tu te plies à genoux devant les miens, je peux te réciter de la poésie et même la composer si besoin est, je peux te décrocher la lune et te faire voir les merveilles que comportent ce monde. Je suis prêt à tout – et n'ose jamais me demander pourquoi car je te répondrai par un profond silence – pour t'avoir à mes pieds. Je te souris doucement, te dominant de toute ma hauteur.

-Et pourquoi hésites-tu petite ? Je t'offre le monde à tes pieds.

Elle se mord la lèvre, son regard fuit et ne soutient jamais le mien plus de quelques secondes. Mais ces quelques secondes me réjouissent, je les savoure, mes pupilles se dilatant comme pour le marquer. Mais bien sûr, cela, elle ne le remarque pas, trop occupée à se poser 1101 questions à propos de mon entente. Qu'elle ne réfléchisse pas trop, cela pourrait tout gâcher.

-Tout ce que je demande, c'est de t'avoir à mes côtés, que tu te prêtes à mes jeux et à mes désirs. Servitude totale en l'échange de la protection la plus sûre contre l'extérieur, acquisition de tout ce que tu peux désirer. Tes désirs contre les miens ma jolie.

Cette fois son regard s'accroche au mien, ses sourcils froncés dans une profonde interrogation. Elle semble se demander ce que veut dire de se prêter à mes jeux, mais je sais qu'elle ne le demandera pas. Dans la tête d'une humaine de son genre, jeux et désirs inclut le sexe et des sorties. Pour moi c'est beaucoup plus, mais tant qu'on ne m'oblige pas à le dire, je n'ai pas à préciser mes promesses.

-J'ai pas b'soin d'ta protection, crache-t-elle avant de se retourner devant le miroir.

Je soupire, levant les yeux au ciel. Ne comprend-elle pas l'ampleur de ce que je fais ? Je suis presque à la supplier – Raquel seul le sait peut-être – de me suivre. Pourquoi faire une telle chose ? Un lourd silence s'impose dans mon esprit. Je ne suis même pas apte à me fournir moi-même une réponse. Abruti d'ange bâclé !

-Pas besoin, je dis en m'avançant encore un peu, faisant que mon reflet n'affiche pas le dessus de mon crâne. Tu oses me dire cela ? Je t'ai observée Souny, tu te mets toujours dans des situations impossibles avec ton ami Dylan. Lui s'enfuie à la moindre embuche. Moi je resterais, je t'offrirais plus qu'un simple support moral une fois la crise passée. Problèmes d'argent ? Plus besoin de ramper devant ta mère. Un mot et le contenu d'un coffre-fort se retrouvera entre tes mains. Tu veux des ailes ? …

Je marque une pause, observant sa réaction dans le psyché. Ses lèvres s'entrouvrent puis se referment doucement, marquant sa surprise évidente.
-Je suis en mesure de te l'offrir. Tu n'as qu'à dire que tu acceptes mon offre. L'accord sera officiel même sans signature.

Elle ferme les yeux, mais je vois bien ce petit sourire sur ses lèvres. Tout ce dont elle rêve, je viens de le lui mettre sur un plateau. Je la tiens presque.

Je m’sens importante tout d’un coup. C’est le premier qui me propose de s’occuper de moi avec un air aussi sérieux. J’ai eu beaucoup de gars dans mon lit, mais j’voulais la protection d’aucun, sauf un. Mais il est parti il y a longtemps sans un regard derrière lui pour me voir suppliante, pleurant et rampant. En fait, j’crois bien que j’étais amoureuse de lui, genre le «premier amour» comme dit tout le monde. Avec lui, j’croyais vivre un véritable conte de fées ou une histoire dans laquelle j’étais la princesse et lui le bon prince charmant qui me protégeait de tout. Aujourd’hui aucun, je m’surprends à regretter qu’il ne soit pas resté avec moi. Ça marchait plus trop vers la fin dans notre…«couple». Il m’a laissée. Il m’a complètement déchiré. C’est à partir de ce moment-là que tout a chamboulé. J’ai commencé à parcourir les rues de Paris en compagnie de Dylan, à consommer plusieurs substances pas trop nettes, à baiser de gauche à droite avec des mecs qui me portaient un tant soit peu d’attention ou bien avec des filles si j’étais vraiment…mais vraiment en manque. Ma mère m’a mise à la porte à mes dix huit ans et maintenant, elle est loin, trop loin pour veiller sur moi. Bref, ma vie est devenue un merdier, un bordel, un lieu de débauche, de pauvreté et de misère.

Et lui…?

Il me propose de me protéger et de m’offrir tout ce que je veux.

-J’sais pas trop … On m’a déjà dit ça avant et l’homme s’est sauvé avant que je réagisse vraiment.

Raquel fait un pas dans ma direction, incline un peu le cou pour mieux me regarder. C’est pas un beau mâle, celui-là. Mais j’aime ses yeux. Ils sont profonds et mystérieux, illuminés par une espèce de lueur insolite. Il est grand aussi. J’aime les hommes grands qui me dépassent de plusieurs têtes. Quelqu’un pour me soutenir, pour être présent quand j’en ai besoin. Ma mère m’a quittée. Elle se fiche de moi. Et lui ? Il semble vraiment me vouloir.

-Mais moi, je suis différent, murmure-t-il. Je ne te laisserais jamais.

Il tend un bras et effleure ma joue de sa main incroyablement douce. J’ferme les yeux, une boule se forme dans le creux de ma gorge; elle m’empêche d’émettre le moindre son. J’voudrais bien te croire, cependant…j’ai bien de la misère. Tous les gens que je rencontre me déçoivent, me font de la peine, s’amusent avec mes sentiments. J’ai pas envie de vivre ça encore une fois.

-Ils disent tous ça. Ma mère m’a promis de toujours veiller sur moi parce que le monde était cruel pour des personnes de mon genre. Elle est partie. Elle a déménagé en me laissant seule ici. Qu’est-ce qui me dit que tu ne feras pas la même chose ? T’devrais te trouver une autre femelle, m’grand. J’suis pas la bonne.

J’veux me détourner, mais il dépose une main sur mon épaule et me force à demeurer face à lui. J’ai peine à soutenir son regard intense et perçant…on dirait qu’il lit dans ma tête. Je m’sens vachement nue sous ses yeux.

C'est fou comme tu es ignorante. C'est fou cette opportunité de te séduire que tu m'offres sur un plateau. Reproche à tout le monde ce qu'ils t'ont, plains-toi à moi, et tu verras que mes offres se feront de plus en plus attirantes pour toi. Le mieux, c'est que je n'aurai rien à dire. Tu es en train de te convaincre toi-même. Ta mère ? Partie ? Certes, je connais des informations que tu ne détiens pas, et je ferai tout pour que tu n'apprennes rien de moi. Je ne suis pas obligé d'être omniscient à tous les moments. Présentement, il vaut mieux pour notre accord à venir que nous ne sachions pas tout, que tu crois à ce que tu me racontes. Tes yeux sont fous Souny. Ils s'accrochent à une réponse, ils s'accrochent à mes yeux à moi pour me supplier de décider pour toi. Cette décision t'insupporte ma beauté. Tu aimerais que ta mère, ou quelqu'un d'autre, soit là pour te dire quoi faire. Non. Tu es seule là-dedans. Tu t'es mise toute seule dans cette situation, je t'y ai seulement un peu poussée.

-Je sais à quoi tu penses, je dis d'une voix douce.

Mes doigts s'arrêtent sur sa joue, mais je ne les retire pas de là. Sa peau est trop douce pour que je consente à éloigner ma main. Bien sûr, j'ai un peu abimé son maquillage, mais ce sujet n'est pas à l'ordre du jour en ce moment. Son regard se remplit de doute, de crainte peut-être. Je ne suis pas très bon pour distinguer ceux-là.

-Tu te dis que si tu n'étais pas allée secourir ton ami, tu n'aurais pas à prendre cette décision aujourd'hui.

-T'allais l'tuer.

-Non.

Je lui réponds la vérité, mais je ne l'explique pas. Son ami, ce … Dylan je crois … dans quelques années, quelques mois peut-être, son corps sera couvert de fourrure, ses oreilles changeront de position et de forme, et de petites moustaches lui pousseront sur les joues. Dylan est condamné, Dylan a besoin d'un endroit pour vivre sa vie de paria. Il ne pourra pas continuer à arpenter les rues. Pareil pour toi. Je sais que ça prendra plus de temps, que ce n'est pas pour tout de suite, mais je ne peux pas risquer que tu te retrouves dans un laboratoire avec des aiguilles plantées dans tout le corps.

Elle fait la moue, incertaine. Doit-elle me croire, ou non ? Je sais que c'est difficile. Je revis ce scénario depuis des siècles. Mais normalement je demande aux gens de choisir seulement pour leur donner l'impression qu'ils sont importants. Elle, je la veux consciente, pleinement éveillée quant à sa servitude. Son âme vaut la peine de ne pas être jetée aux poubelles.

-Tu dois décider maintenant Souny. Je veillerai sur toi comme aucun autre ne l'a fait avant. Et je ne t'abandonnerai jamais.

Elle hésite, elle penche sa tête, l'appuie sur mon épaule. Je caresse ses cheveux, regarde notre reflet dans le miroir. Étrange cet aspect paternel sur mon visage. Si j'étais humain, je pourrais presque le qualifier d'aimant. Je me retiens pour ne pas rire.

La porte de la salle de bain s'ouvre sur une fille saoule, qui nous hurle que les problèmes de couple, ça peut se régler ailleurs. Ma main sur la tête de Souny l'empêche de se redresser brusquement, mon autre main a les doigts occupés à danser dans le vide. La fille saisit la poignée, se referme elle-même la porte sur le nez. Un bruit sourd et un craquement sinistre se font entendre.

-C'est quoi son prob' à elle ? demande Souny.

-Aucune idée, je marmonne en frottant l'arrière de ma nuque. N'y pense pas. Pense à ta réponse.

Bon. Récapitulons.

1)On t’offre de te fournir tout ce dont tu as de besoin. On veut répondre à tous tes petits caprices de petite fille ingrate.
2)Ta mère n’est plus derrière ton épaule pour vérifier si tu fais les bons bas.
3)Dylan n’est pas là pour te conseiller.
4)Tu manques d’argent.
5)La solitude te pourrit la vie.
6)Un bon gros mélange des cinq raisons précédentes.

C’est vraiment…douteux comme proposition. Il veut sûrement quelque chose en échange. D’un autre côté, j’aimerais bien que quelqu’un veille sur moi. Et puis, les termes du contrat ne sont pas si horribles que ça : je dois subvenir aux désirs de cet empoté, mais je peux quand même vivre ma vie. D’un certain côté, j’suis encore une jeune femelle libre à la recherche de…d’une vie agréable ? d’un mâle qui pourra me combler ? de quelque chose en tout cas.

-Ils t’ont abandonnée, Souny.

Sa voix est un doux murmure à mes oreilles, une petite mélodie suave, le genre de ton qu’on emploie pour séduire une personne. Ses doigts, sur ma tête, caressent tendrement ma chevelure, m’arrachant de petits frissons succulents. Mais ce qu’il a dit me laisse…me percute de plein fouet. Ma mère n’est plus là. Elle est aux Amériques alors que je suis à Paris. Un océan nous sépare. Dylan côtoie ce Vampire qui satisfait tous ses moindres caprices. Les hommes se vident dans mes entrailles, mais c’est le cul uniquement qui les intéresse. Et le seul mec pour qui je fondais littéralement à décider de me larguer du jour au lendemain après de belles nuits torrides et de folles promesses de mariage et d’amour. L’imbécile. Il n’y a que ce type humanoïde et dérangé qui se propose de s’occuper de moi.

Doucement, je relève la tête croise son regard mystérieux. Waa…Sa face aurait pu être figée dans la pierre.

-Tu sais. J’suis une fille plutôt difficile, criarde – CROAK -, énergique et qui bavasse tout le temps. J’suis pas sûre que tu sois capable de m’endurer. Une minute je piaille comme une pie et la minute d’après je me déhanche sur du techno. Tu sembles plus le genre de mec qui est…no life et sans énergie.

Un large sourire fend mon visage en deux. J’essaie peut-être de le décourager, mais la pression de ses longs doigts fins sur ma peau m’affirment seulement qu’il compte vraiment m’avoir d’une façon ou d’un autre, peu importe le caractère énervant que j’ai. C’est flatteur. Ses tendresses sont…douces et fermes, il suit, d’une main, les contours de ma mâchoire, puis remonte sur ma joue droite, venant effleurer avec une certaine délicatesse mes paupières. Ses yeux sont vraiment…hallucinants.
-Je serais capable de te mettre en laisse d’une seule main et de l’autre te faire ce que bon me semble.

J’éclate de rire. Un bon gros rire sonore qui résonne dans la salle de bain. Puis, je me plie en deux, me tenant les côtes.

-Tu crois pouvoir me dresser ? je demande après mon instant d’hilarité. J’suis curieuse. Plein de mecs ont essayé et ils ont rebroussé chemin la queue entre les jambes.

-Je ne suis pas tous ces «mecs».

Son ton est offusqué comme si il était un être supérieur et doué de pouvoirs phénoménaux. Ce qu’il est, j’en conclus après mûres réflexions. Je me tapote la lèvre inférieure, songeuse. Raquel me fixe, indéchiffrable. Bon. Bon…Je dois lui répondre. J’ai perdu assez de temps. Fermant les paupières, je réfléchis à toute vitesse. Raquel est moche. Ça c’est un fait notoire. J’aurais préféré me donner à un type beaucoup plus beau. Mais Raquel est pas con, ce qui le diffère des autres mortels. Non. Sérieusement, j’ai atteint le fond du baril et j’arrive vraiment pas à m’en sortir. Si mère était là…

-C’est d’accord…, je souffle.

Je ne sais pas pourquoi, mais le sourire carnassier de l’ange me fait regretter mon choix.

Tu acceptes. Tu viens réellement de commettre la plus belle imprudence de toute ta vie. Maintenant tu es à moi, tu m'appartiens. D'ici peu je m'arrangerai pour que tu sois marqué comme tous mes autres jouets. Bientôt, c'est à peine s'il n'y aura pas mon nom de gravé dans ta chair. Je jubile, je savoure ma victoire. Esprit faible vaincu par un esprit fort. Un grand classique dont je ne me lasserai fort probablement jamais. Jolie chose. Ma jolie chose. Mon jouet. Regarde-moi dans les yeux, et regarde les nouveaux barreaux de ta prison. Maintenant, c'est l'obéissance, ou le retour sur le contrat. Bien sûr tu auras tout ce que je t'ai promis, mais tu devras le mériter. Il ne s'agit pas que de promettre. Je ne suis pas dupe : les humains, hybrides et vampires ne sont pas comme nous les anges. Vous n'avez aucune parole. Je pourrais aussi bien te donner tes ailes maintenant et te regarder t'envoler hors de ta cage. Mais non, non. Cela ne se passera pas ainsi. Tu les auras tes plumes, tu l'auras, ce côté animal dont tu rêvais tant. Mais seulement une fois que je t'estimerai brisée, totalement soumise à moi. Je t'ai regardée évoluer. Ce sera long, mais tu finiras bien par courber gentiment l'échine devant moi, tu baiseras mes pieds, nettoieras tout sur mon sillage. Ton plus grand désir sera que j'essuie mes bottes sur toi.

-Et maintenant ? demandes-tu en me fixant gravement. Il se passe quoi ? Je rentre chez moi et j'attends qu'tu me sonnes ?

Je secoue doucement la tête, prends ton menton entre mes doigts avant de poser un baiser sur ta paupière gauche. Je souris moi aussi, mais j'essaie de donner à ce sourire un air plus doux et moins appréciateur qu'il ne l'est réellement. Profitant de ce que tu as les yeux clos – je ne me serais pas plus gêné s'ils avaient été grands ouvert – je lorgne vers ton décolleté. Oui, c'est une belle acquisition que je viens de faire là. Et dans ce que vous les gens normaux appelez des normes. Je ne t'ai pas forcé la main, tu as signé le contrat par toi-même. Bon, signer, encore une fois, c'est vague. Disons que ta parole, tes mots, ton acceptation des termes du contrat se sont imprimés dans mon esprit à la manière d'une signature noire sur blanc.

-Maintenant ? Chez toi ? Ne dis pas n'importe quoi, ma chérie. Chez moi, c'est chez toi maintenant. Je dois t'avoir à l'œil si je veux veiller sur toi : n'es-tu pas d'accord ?

D'abord t'amadouer, pour que lorsque je me fâcherai sur toi la première fois, tu aies vraiment l'impression que tu l'as mérité et ne t'en formalises pas. Pas trop. Quelqu'un que l'on chérie, que l'on dorlote et protège est plus facile à briser dès le premier coup. Déjà que tu es brisée à ta manière, persuadée que tu es, que tout le monde te déteste et t'abandonne. Si tu connaissais la vérité, tu regretterais encore plus de t'être jetée sous l'ombre de mon aile.

-On passe chez toi, on prend le minimum, et on transfère le tout dans mon humble demeure, qui est désormais aussi la tienne, puisque tu as l'insigne honneur de partager mon existence.

-Mais j'ai un tas de trucs … on peut pas transporter tout à deux, fais-tu avec un air effaré.

-J'ai dit le minimum, mais si ma princesse estime qu'elle a besoin de tout ce que contient son petit appartement, j'ai des porteurs qui se chargeront de tout cela avec empressement, j'affirme en posant ma main aux doigts agités sur ton épaule, t'invitant à prendre la direction de la porte.

-Des porteurs ? fais-tu, une petite lueur dans les yeux. Je serais tombée sur un type plein aux as ?

-Je suis riche à ma manière, je fais en haussant les épaules, mon sourire t'étant caché par le retour aveuglant à la clarté de la salle principale de la boîte.

Je grince des dents. Tout ce bruit me rend fou.

-Ça fait un méchant moment que je n’ai pas cohabiter avec quelqu’un. Mon ex était un malade de la propreté et on s’égueulait à toutes les fois que je laissais traîner un crayon ; y fallait quasiment que je ramasse mes fringues quand je lui faisais un strip-tease, adieu la sensualité. T’as déjà baisé avec une femelle qui rangeait tous ses vêtements après les avoir enlevés ? Ton show est brisé et ton érection s’amollit.

Je soupire de découragement en secouant la tête alors que Raquel s’avance dignement dans l’allée du pub, la base de sa canne heurte gracieusement les pavées dans un bruit sec et régulier. Du coin de l’œil, je zieute le type avec curiosité. À notre première rencontre, il avait une coupe de cheveux différente et son maquillage lui donnait un air de squelette moqueur et pervers. Ce soir, il a plus de classe avec son long manteau de cuir ainsi que toutes ses fioritures sur ses vêtements. Maman aurait dit de lui que du mal. Elle n’apprécie pas les styles extravagants ni marginaux et encore moins le mien. Elle avait déjà affirmé que je ressemblais à «une fille de joie sortie tout droit d’un cirque vêtue de torchons». Ma mère est d’une gentillesse exemplaire.

-Toi, t’es comment ?
-Moi ? répète-t-il sur un ton bas.
-Ouais, t’es comment. Tu piques une crise phénoménale si je fais pas la vaisselle ou si je me donne pas la peine de faire mon lit ? T’es plus le genre de mec à critiquer sur n’importe quoi, à te cloîtrer dans une pièce pour éviter la civilisation ou à forniquer bestialement un peu partout.

Raquel s’immobilise soudainement, je fonce dans son dos en maugréant entre mes dents, frottant vigoureusement mon pauvre front meurtri. Une longue voiture noire et luxueuse s’arrête devant nous, une porte arrière s’ouvre par magie et l’homme en noir m’adresse un sourire mi-vilain mi-gentil pour m’inciter à embarquer dans l’automobile. Je siffle d’admiration avant de me glisser dans l’ouverture, Raquel me suit et referme le battant derrière lui. La limousine est plutôt spacieuse et foutrement élégante. Il y a une petite télé plasma au plafond, un petit réfrigérateur pour conserver des trucs à boire, j’imagine, et un long banc de cuir douillet longe le côté droit. Le bras de Raquel entoure ma taille, sa main s’agrippe à ma hanche et m’attire près de lui de manière à ce que je sois presque embarquée sur lui.

-Wow…C’est pour m’impressionner tout ça ou tu circules toujours en limo ?
-Pour t’impressionner.
-Quelle franchise.

J’me demande bien qui conduit l’auto, mais c’est impossible à voir. Les doigts de Raquel s’activent sur l’une de mes cuisses comme s’il jouait au piano tandis que l’autre tapote ses lourdes lèvres. Il est pas trop bavard…Dommage. Mon ex copain était une vraie pie. Sa gueule n’arrêtait pas une minute, soit il parlait soit il m’embrassait ou encore il s’occupait de mon petit plaisir avec sa bouche sensuelle et experte. Raquel est-il doué à ce jeu-là ? Je fronce les sourcils. Rien dans son contrat n’a stipulé qu’on allait avoir des relations sexuelles ensemble…Ou je ne m’en souviens plus trop. J’hausse les épaules et appuie ma tête contre l’épaule du goth, me reposant un peu.

-On arrive bientôt ? je demande après quelques minutes.
-Oui.
-T’es sûr que je ne devrais pas passer chez moi ? Faudrait que j’dise au proprio que je déménage et que…
-Tout est fait.

Je tique puis lance un coup d’œil curieux en direction de Raquel. Ses doigts remuent toujours avec vitalité sur ma peau et je m’apprête à ouvrir ma bouche lorsque la limousine ralentit et s’arrête. Dès que je mets un pied dehors, je manque de défaillir en contemplant l’immense baraque de Raquel. Je siffle d’approbation.

Bien sûr que tout est fait, ma chérie. Tout a été organisé depuis la seconde où je t'ai proposé ce marché. Tu ne pouvais pas faire autrement que d'accepter, vue la situation. Cette offre d'emploi à New-York pour ta mère, mon œuvre. Cela ne visait qu'à te mettre un bon coup, te faire sentir indésirable, pour que tu tombes comme une plume dans mes bras tendus. Tu es mienne, et tu le resteras pour un bon moment. Seulement pour le moment, avant que le contrat ne soit signé dans ta chaire, je dois m'assurer que veuilles le signer de ton plein gré. C'est ce que j'appelle l'opération séduction. J'y prends plaisir à chaque fois que ça se présente. Pendant quelques jours, voire même semaines, j'agis comme le plus imbécile et le plus mielleux des hommes, mettant tout en œuvre pour que tu t'imagines les meilleurs scénarios de la vie commune avec un être tel que moi. Ces scénarios n'étant bien sûr que pure fiction.

Je souris, regardant deux domestiques en livrée noire – volées ce matin dans une boutique ancienne – qui viennent nous ouvrir les portières. Je te rejoins de l'autre côté de la voiture, satisfait par l'air impressionné que tu arbores. J'ai le sentiment que de t'apprivoiser ne prendra pas beaucoup de temps ni d'efforts. Tu m'as l'air du genre de personne qui se laisse facilement berner par les apparences. Ce n'est pas bon pour toi. Pour moi oui, mais pas pour toi, tu peux en être plus que certaine. Mon sourire s'étire. Les deux hommes que ma main contrôle s'inclinent devant toi. Je me suis appliqué à choisir ceux qui tombaient le moins en lambeaux. Tu ne dois voir que le meilleur de moi-même. Toi, bête et simple que tu es, tu te mets à parler à l'un d'eux alors que nous remontons l'allée qui mène à la maison. Seul le silence te répond.

-Il est muet ?

-À sa manière, je réponds évasivement.

-Il a perdu sa langue ?

Effectivement, il n'en a plus, et c'est pour ça que je m'applique à ce que sa bouche reste hermétiquement fermée. Je hoche la tête, avec un sourire contrit.

-T'es plus généreux que j'croyais…

Je hausse un sourcil. Que veux-tu dire ?

-T'engages des handicapés, dit-elle à voix basse.

Pas la peine de parler à voix basse, il ne risque pas de s'offusquer. Je hausse à nouveau les épaules, humble de ma personne. Pour une fois.

-J'engage seulement des gens que personne d'autre ne songerait à engager.

Et c'est bien vrai. Qui voudrait engager à son service un cadavre puant ? Bon, celui-ci ne pue pas, et son compagnon non plus : je les ai tués ce matin. Ils sont frais du jour. Tu reviens vers moi, t'accroches à mon bras. Non, cette séduction ne sera probablement pas difficile. Ne reste qu'à te faire passer par-dessus mon aspect physique que tu as l'air de trouver si répugnant et si peu attirant. Je soupire. Mes doigts s'agitent contre les tiens mais tu n'y portes pas attention. Les portes de la maison sont ouvertes par nos accompagnateurs cadavériques.

-Et voilà, c'est chez moi, je fais.

[ Je vais créer la maison de Raquel, tu pourras poster la suite là ! ]