Pas un endroit pour un SDF [pv Lan]

La femme sur la scène du restaurant chante de vieux succès auxquels je ne porte que peu d'attention. Je suis bien trop nerveux pour écouter les paroles qui s'échappent de ses lèvres peintes en rouge. Je suis bien trop occupé à tortiller mes petits doigts sur mes cuisses, autour d'une fourchette argentée piquée sur la table. Parfois, mes yeux s'attardent sur son brillant, sa clarté, et je me dis que ce n'est pas si mal. Ce luxe me rappelle les bons côtés de mon ancienne situation. Toutefois, dès que je lève le nez, je me rappelle tous les mauvais…

Elle chante quelque chose à propos d'une femme qui aimait très fortement son mari. Je n'ai jamais entendu cette chanson auparavant et ce n'est pas aujourd'hui qu'elle va me rester dans la tête. N'écoutant que d'une oreille, je porte à nouveau mon regard sur l'ustensile, puis, évitant de regarder devant moi, sur ceux qui ornent les autres tables. Les bons côtés Dylan, les bons côtés. Ne regarde pas en avant.

L'homme devant moi parle. Son ton est dur, sérieux, et je crois qu'il me morigène de ne l'écouter que d'une oreille. Et alors ? La chanteuse aussi n'a droit qu'à une oreille, et est-ce qu'elle se plaint ? Non. J'essaie de concentrer mes deux oreilles et mes deux yeux sur elle. Mes oreilles pour les paroles des chansons, mes yeux sur les paillettes de sa robe rouge au décolleté profond mais respectant tout de même le bon goût.

Mais son spectacle s'achève, et je dois retourner à ce qui ne me plait guère; une discussion violente et désagréable, pleine de non-dits et de double sens. Je soupire, fixant mon attention sur la fourchette devant celui qui m'a invité à entrer ici. Mieux vaut ça que lui. Je n'ai pas envie de partir d'ici avec lui. J'ai envie de partir d'ici avec les fourchettes … et peut-être la salière… Elle est jolie cette salière… vachement jolie et je…

-Dylan ! Regarde-moi quand je te parle ! me somme-t-il.

Je sursaute, puis monte mon regard jusqu'à son nœud de cravate. Il me fait savoir par un petit grognement que ce n'est pas assez et je consens enfin à le regarder dans les yeux… presque dans les yeux, un millimètre plus à droite.

Là… était dehors à marcher seulement derrière moi. Après des jours à regarder derrière mon épaule pour être certain qu'il ne s'y trouvait pas. Dès la journée où j'ai baissé ma garde, il est venu, et je ne l'ai pas senti arriver. Probablement avais-je en quelque sorte oublié son odeur. Peut-être que j'avais voulu l'oublier. Peu importe. Il était là, a posé sa main sur mon épaule et m'a forcé à entrer dans ce restaurant beaucoup trop chic pour un gosse de la rue comme moi.

-Tu t'es regardé un peu ? Tu es encore plus crasseux que quand je t'ai vu la première fois ! est ce qu'il a dit quand le portier m'a regardé de travers.

Maintenant, on est plutôt loin des politesses. Je crois qu'il est en colère, très en colère. Presque aussi furieux que la fois où il m'avait trouvé chez lui après que j'y sois entré pour me laver… le tout après avoir volé son précieux bijou, une simple bague en or sans ornement. Elle n'aurait même pas mérité que je la vole.

-J'veux comprendre, je demande, l'empêchant de poser ses questions à lui. Pourquoi t'es pas mort ? J't'ai laissé dehors juste avant le lever du jour. Tu d'vrais être tout sec !

Mais surtout, il devrait être mort !

Je souris.

-Allons, Dylan. Ne me prenez pas pour un Vampire de pacotille; j’ai plus d’un tour dans mon sac.

Sale petit maigrichon aux lunettes encrassées ! Vous auriez dû observer les alentours bien attentivement avant de me laisser agoniser de la sorte sous la naissance de l’aube. En effet mon cher, vous auriez dû apercevoir cette bouche d’égout sur notre droite, plongée dans l’ombre d’un bâtiment colossal. Vous auriez dû me regarder me désintégrer au lieu de vous enfuir aussi lâchement. Une grimace de mépris tord mes traits autant pour ce souvenir cuisant – je me suis fait battre par un petit insolent – autant pour cette femme qui chante en faussant quelques notes plutôt faciles, se voulant gracieuse, séduisante et alléchante. Son corps se cambre avec l’élégance d’un poulet.

Ainsi donc, dès que ce petit Dylan disparut de mon champ de vision, au détour d’une rue, je rampai jusqu’à la bouche d’égout, non sans aversion – ce n’est pas un lieu convenable pour un gentleman tel que moi – et presque aveuglé, je tâtai les barreaux métalliques que je tirai d’un coup sec avant de m’engouffrer dans un tunnel sombre et humide, nauséabond et animé par des rats grouillants ici et là. Je crus que j’allais mourir asphyxié, mais il était hors de question de succomber avant d’avoir récupérer ma bague. Alors, un mouchoir d’un blanc nacré que sur mon nez sensible, je parcourus plusieurs dédalles malodorantes et me dirigeai vers quelques chemins secrets connus seulement des Vampires afin de pénétrer dans les Catacombes. Je séjournai là toute la journée et me rendit à ma demeure à la nuit tombée, avec l’idée en tête de retrouver ce petit morveux le plus rapidement possible.

-Ne sous-estimez jamais un Vampire, comme je ne vous estimerai plus jamais. Cela vous ravit-t-il ? Quoi ? Pardonnez-moi, je comprends mal vos baragouinages. Plaît-il ? Mais que dites-vous là ?

Mon très cher Dylan grommelle un peu, me lance des regards…pincés et tambourine nerveusement la table de ses doigts noirs tout en tournant subtilement la tête vers la porte d’entrée du restaurant. Pourquoi ne prend-il pas la peine de se savonner la peau ? Quelle crasse…On dirait qu’il s’est battu dans un tas de fumier. Ce petit n’a aucune éduction, - je secoue la tête, désespéré – alors je vais devoir lui inculquer quelques manières …

-Écoutez-moi bien Dylan, soit vous me remettez ma bague dans les secondes à venir soit vous redevenez mon prisonnier. Décidez-vous bien, je n’ai pas que ça à faire, vous attendre.

Oh…si. La vie n’est plus aussi palpitante que de mon vivant. Les guerres contre les Anges ne m’émoustillent guère, la question des Hybrides ne m’intéressent pas et l’existence pathétique des Humains n’est pas un sujet que j’aborde. Une jeune femme éblouissante s’approche de nous, toise Dylan, les lèvres pincées, et nous demande si nous avons fait notre choix. Mon compagnon marmonne quelque chose concernant des pâtisseries et moi, je me contente de leur plat du jour.

-Alors, Dylan ?

Je dépose mes coudes sur la table, appuie ma tête de le creux de mes mains et l’examine sous mes lourdes paupières.

-Quel est ton choix ?

Mon choix ? T'es marrant toi ! Je viens de lui dire ce qu'était mon choix à cette serveuse. Mais non, je sais bien que ce n'est pas ce qu'il veut dire, seulement je n'ai aucune envie de lui répondre. Pas maintenant. Pas tout de suite. Je sais seulement que je ne peux pas la lui donner.

-On peut pas faire de compromis quand un des deux est pas d'accord du tout, je marmonne.

Il en fait quoi de mes désirs à moi ? Cette bague est à moi, je l'ai volée. Il n'a pas à me la demander. Je me la suis appropriée. Jamais personne ne s'est autant acharné à me reprendre un truc volé. Personne avant lui. Je bougonne, appuie mon menton dans ma main. Mon autre main vole vers le panier de pain. Lascivement, j'entreprends d'en arracher un morceau pour avoir accès à la mie. Lentement, minutieusement, j'en retire tout le contenu, jusqu'à ce qu'il ne reste que la croûte, intacte comme si la mie n'avait jamais existé. Je ne sais pas pendant combien de temps j'ai fait ça, mais quand je relève les yeux, Lan est exaspéré et la serveuse est à côté de notre table.

-Vous n'aimez pas notre pain ? demande-t-elle en riant.

-Il est sale, je dis simplement en regardant mon napperon plein de miettes et de bouts de pain immangeables.

La dame affiche un petit air offusqué, puis, posant nos assiettes devant nous, m'offre d'aller chercher une autre corbeille de pain pour satisfaire mes caprices gastronomiques. Je secoue la tête. Je n'en veux pas. Après son départ, Lan me foudroie du regard alors que ma fourchette se balade mollement sur le dessus des pâtisseries.

-Vous devez m'expliquer quelque chose Dylan…

-Si c'est à propos d'ma politique de vol sans remboursement, c'est non. On en a déjà parlé.

-Non, ce n'est pas ça. Je ne comprends pas. Cette pauvre femme doit être toute bouleversée. Un garçon malpropre et puant qui se présente dans un restaurant cinq étoiles en pestant sur du pain "sale" … Pourquoi tant d'hygiène sur ce qui vous entoure et pas sur vous ?

Je fronce un sourcil, mes yeux se posent sur lui à travers mes lunettes. Astiquant la fourchette brillante avec mes doigts, un peu de salive et un coin propre de mon sweat, j'entreprends de la rendre un peu plus brillante encore.

-J'aime quand ça brille, j'aime pas manger des trucs sales. Moi c'est pas grave. J'suis pas comestible – douce allusion à son état de vampire – et même si j'frotte, j'brille pas. Et pis j'compte pas.

Il me regarde encore avec un drôle d'air. Je souffle sur mes pâtisseries – au cas où de la poussière aurait eu le temps de tomber dessus – puis entreprends de les dévorer. Avant qu'il ne me demande pourquoi je ne suis pas important, je préfère aborder un autre sujet. Il n'y a qu'une partie de mon corps qui mérite d'être gardée extrêmement propre et douce.

-J'peux essuyer ta fourchette avant qu'tu t'empoisonnes avec ? je fais en tendant la main.

-Vous n’aimeriez pas que je meure dans les prochains instants afin de vous sauver sans demander votre reste ?

Méditatif, Dylan se pince les lèvres, tend une main vers ma fourchette avec hésitation, la retire, l’avance un peu, perd du terrain, s’élance, s’immobilise puis s’abat lourdement sur la tête. Malgré ses lunettes opaques, je parviens à discerner son regard posé sur mon ustensile de cuisine comme s’il craignait que ce bout de métal ne s’enfuie de son poste. Je fronce les sourcils, claquant ma langue avec une irritation mal contenue. Changeant de position, je ne quitte pas mon interlocuteur des yeux, essayant d’établir un plan de bataille qui se montrera victorieux.

-Malgré tout, je suis sûr que cette fourchette ne possède aucun poison et qu’elle fut bien nettoyée. Nous ne sommes pas dans un restaurant de classe secondaire.

Dylan ne me porte apparemment plus aucune attention, ses doigts se crispent sur la nappe d’un blanc nacré, m’ignorant, voire oubliant ma présence. Saint-dieu, qu’il s’accapare de cette fourchette pour que nous puissions reprendre notre éprouvante conversation ou plutôt dispute à propos de ma bague. Oui, il s’agit de MA bague, pas de la sienne. Elle ne lui appartient pas. C’est la mienne, elle représente tant pour moi que je ne peux me résigner à l’oublier à la lui laisser. Depuis sa mort, c’est la seule chose qui me relie à lui. Un frisson de colère sème la zizanie dans mes particules; je me sens sur le point d’exploser. Bougre de Dylan, serait-ce trop compliqué d’incliner la nuque, de consentir à me redonner ce bien dont je ne puis me séparer ! Que la Lumière l’emporte, lui et son joli minois qui m’empêchent de lui tordre le cou !

Sa main agrippe la fourchette et l’attire vers lui. Il commence alors à l’astiquer amoureusement, l’élevant au niveau de ses yeux afin de vérifier son éclat. Je la trouve plutôt éblouissante, où voit-il une tache de saleté ? Je soupire, adresse un sourire ravi à la serveuse qui m’apporte ma coupe de vin. Elle lorgne méchamment mon jeune ami sans émettre de commentaires déplacés.

-Dylan ?
-Hum ?
-Nous devons arriver à un compromis.

Silence. Je m’hérisse face à son impertinence. Moi, Sir Lan de Varen, qui n’a aucune autorité sur cet animal indomptable, moi qui a gouverné et dirigé bon nombre d’individus de mon vivant ! J’envie cette douce époque où on s’abaissait devant moi pour me baiser les pieds, où l’on me respectait à ma juste valeur et où l’on ne me volait aucune de mes biens.

-J’vous donnerai pas ma bague.
-Vous n’aurez probablement pas le choix, je rétorque d’un ton sans réplique. Je la veux plus que tout. Remettez la moi afin que nous puissions sortir d’ici le plus rapidement possible. Ah moins que vous ayez une idée, une solution à proposer ?

Ses traits se durcissent, mais ses yeux ne semblent pas se détacher de sa besogne.

Une solution ? Mais bien sûr, fichez-moi la paix et on en aura fini. Non mais il me prend pour qui ?! Je ne suis pas un imbécile, même si j'en ai parfois l'air, je suis assez bon joueur pour l'admettre. Je lui répète pour la centième fois que je ne me souviens plus de l'endroit où j'ai posé sa bague. Il me répond qu'il n'en croit pas un mot. Mais puisque je vous le dis, je rétorque. Nom d'un raton, il me les casse ce fanfaron de vampire à la con ! Je pouffe de rire. Ça rime. Voilà bien ce qu'il me fallait pour arrêter de m'en faire un moment. Un petit quelque chose qui me fasse rigoler. Quelque chose d'autre sur quoi fixer mon attention. L'homme sourcille en me regardant. Quoi ?

-Vous croyez qu'il y a matière à rire ?

-J'ai fait une rime marrante dans ma tête, je dis en pouffant encore plus.

Si je n'avais pas ces lunettes, j'essuierais une larme au coin de mes yeux. Juste la tronche qu'il tire mériterait un trophée du ridicule. Malheureusement pour moi, le ridicule ne tue pas : je serais débarrassé d'un fichu de gros problème chiant. Il abat le plat de sa main sur la table. Je sursaute et me redresse, droit comme un I, sur mon siège. Mais qu'est-ce qui lui prend ? Quand on est vieux on perd son sens de l'humour ? Je doute qu'il en ait même jamais eu un, remarquez.

-Un peu de sérieux Dylan ! Vous ne prenez pas cette situation avec autant de gravité que vous le devriez, dit-il en se penchant et en baissant le ton de sa voix.

Plusieurs clients avaient tourné la tête vers notre table après qu'il l'aie frappée de la main. Je penche la tête sur le côté, passant le bout de ma langue sur mes lèvres. Je n'aime pas quand il me regarde avec cet air. Ma gorge en devient sèche. Je prends un verre d'eau, le porte à mes lèvres, réalisant ensuite que je n'ai même pas pris la peine de regarder s'il était sale. Ma foi, tu es tout chamboulé, Dydy. Cet homme ne mérite pas de te faire autant d'effet.

-Proposez quelque chose, Dylan. J'en ai assez de cette histoire, et j'en ai assez de chercher des solutions tout seul. J'ai l'impression d'être seul dans cette histoire.

-T'es en effet l'seul à prendre ça avec autant d'sérieux, mec.

Il me foudroie du regard. Le "mec" était peut-être de trop. Il semble toujours être de trop avec un type aussi coincé que Lan. Comme le "vieux", même si celui-ci semble déjà mieux passer. Il soupire.

-Bon, dit-il, j'ai peut-être quelque chose à te proposer. Tu reviens chez moi, jusqu'à ce que tu m'aies rendu ma bague.

-Ok.

Ben quoi ? Je sais que je n'arrêtais pas de me plaindre là-bas, mais en une semaine, je me suis pris deux fois de la pluie sur la tête pendant que je dormais sur un banc. Et puis je regrette ses pâtisseries.

-Mais pas dans les mêmes conditions, je grogne. J'veux continuer d'sortir quand j'en ai envie, j'veux pouvoir dormir dans ton lit sans qu'tu tires toutes les couvertes de ton bord, pis j'veux qu'le frigidaire soit convenablement rempli à tous les jours.

Que le réfrigérateur soit bien rempli ? Oh mais quel bougre, il ne pense qu’à se nourrir jusqu’à l’embonpoint. Ce petit morceau d’ossements se croit réellement tout permis en ma digne présence. Il se lèche avidement les babines après avoir englouti, dans son minuscule gossier, une miche de pain qu’il a astiquée et nettoyée tendrement d’un œil expert. Son attention paraît être porté une fois de plus sur chaque ustensile présent sur la table, évaluant leur propreté pour la millième fois sans doute. Même les domestiques de mon ancienne demeure n’étaient pas aussi obsédés par l’éclat de notre vaisselle.

-Me donnez-vous votre parole, Dylan ? Je suis un homme d’honneur, si nous acceptons tout deux les termes du contrat, j’entends à ce que vous les respecter. Toutefois, j’ai moi aussi des conditions à imposer.

Dylan, malgré ses viles lunettes noires et épaisses, redresse l’échine et semble me prêter une attention toute nouvelle. J’imagine ses sourcils se froncer et ses paupières se plisser sous l’effet de la réflexion ou de la méfiance. Ses petites lèvres se tordent et ses doigts, signe de nervosité ou d’anxiété, triturent cruellement les coins de la nappe blanche. La serveuse dépose enfin nos plats respectifs tout en examinant, d’un air dégoûté et peu chaleureux, mon jeune ami aux allures crasseuses et malpropres. Ce dernier avait commandé un plat de nouilles avec différentes sauces en prétextant qu’il était végétarien. Étonnant. Pour ma part, j’avais porté mon choix pour des côtes de veau. Dylan fronce le nez en humant l’alléchante odeur de viande. J’en salive presque. Ô depuis combien de temps n’ai-je pas savouré le goût tendre de la chair humaine et aspirer le breuvage carmin de leurs veines palpitantes.

-Je ne désire point vous claquemurer dans ma somptueuse résidence, Dylan, mais sachez que je ferais tout pour réquisitionner ma bague, celle que vous avez osé me voler par pur caprice juvénile.

-Vous avez juste à pas être un gros pervers!

-Taisez-vous, Dylan ! – J’abats le plat de mes mains sur la table, furieux de son effronterie et agacé au plus au point par son comportement audacieux. – Vous avez été sournois et rusé – Il arbore un sourire satisfait- seulement vous êtes tombé sur la mauvaise personne – son sourire s’évapore et se métamorphose en moue boudeuse -. Vous aurez accès à mon lit ainsi qu’aux chaudes couvertures. Vous n’aurez aucun couvre-feu en autant que vous me promettez de revenir sain et sauf. Peut-être, sans doute, allez-vous profiter de la situation, mais croyez-moi, je récupérerai ma bague avec ou sans votre aide. Pour ma part, je m’entends de vous un comportement exemplaire et votre parole. Rien de plus.

Je goûte aux riz et comblé, je m’accorde un petit sourire. Dylan ne touche pas à son assiette, mais me regarde avec une expression médusée alors que sa bouche répété comportement exemplaire. Ravi, je l’invite à manger d’un geste raffiné de la main comme je l’ai appris jadis.

Méfiant – comme si je ne l'étais pas toujours depuis que je vis dans la rue – je consens à rediriger mon nez vers mon assiette et à en inspecter le contenu, soigneux du moindre détail. Il y a une poussière sur le bord du plat. Je fronce les sourcils, lève la main et essaie de l'aggriper entre mes ongles courts et sales. Ça relève du miracle – ou de mon habileté légendaire à ne rien salire qui ne doit pas l'être – pour que je saisisse la poussière sans effleurer l'assiette au passage. Ça y est. Maintenant je peux manger. Et c'est délicieux, même si je dois me forcer pour ne pas inspecter chaque bouchée. Ce que je n'aime pas des repas chauds, c'est qu'on ne peut pas les nettoyer comme on le ferait avec un fruit ou un légume frais. C'est dommage. J'aime que ça brille. Des nouilles… à part quand c'est mouillé, ça brille pas fort fort !

Lan m'observe toujours en mangeant. J'ai hâte d'en terminer avec ce maudit repas. J'ai – et je m'étonne moi-même – vachement hâte de me retrouver dans le lit chaud et douiller de monsieur le vampire emmerdeur et chiant. À la limite, j'ai hâte d'aller me lover contre lui pour abuser de sa chaleur. Bon d'accord, il a le corps un tantinet froid, mais quand même chaud, pour un cadavre ambulant. Je m'esclaffe tout seul, encore, et m'empresse de vider mon assiette. À la fin, il ne reste plus rien. Pas la moindre petite trace de sauce car, au grand damne de mon compagnon, j'ai tout léché et frotté jusqu'à ce que ça brille comme un joyau exposé dans un musée, ou dans l'une de mes planques. Tellement brillant que le moindre rayonnement de lumière à cent mètres pourrait le faire luire. Je souris, satisfait, et repose le plat sur la table. Lan n'en est qu'à la moitié de son repas. Digne, fier, noble, il s'essuie les rebords de la bouche – inutile parce qu'il mange proprement – avec le coin de sa serviette et la plie pour la poser à côté de son assiette. Il lève le bras : aussitôt une serveuse accourt.

-Vous avez terminé ? C'était au goût de monsieur ? Et de votre fils ?

Je sursaute, Lan aussi. Il s'empresse de dire qu'il n'est pas mon père, et moi je crache presque de mépris en affirmant la même chose. La serveuse nous promet l'addition, et s'éloigne en nous lançant un regard suspicieux par-dessus son épaule. Peut-être qu'elle le prend pour un pédophile. Je rigole sous cape – ou pas tant que ça finalement, je rigole franchement. Quand elle revient, nous sommes debout et Lan pose son manteau sur mes épaules. Il est trop long, frôle le sol, mais c'est chaud et douillet. Parfait pour moi, quoi ! Il paie, se dirige vers la sortie. Moi je reste un peu en arrière, puis vais voir la serveuse pour la tirer par la manche.

-C'est pas mon père, mais il aime quand j'l'appelle P'pa.

Sur ce, je m'éloigne en riant de la réputation que j'offre à Lan et de la face toute rouge et blême à la fois de la pauvre fille qui n'a pas l'air de savoir si elle doit me prendre au sérieux.

-Pourquoi tu ris ? demande Lan une fois que je l'ai rejoins dehors.

-Oh pour rien, je dis en pouffant. P'pa.

Il grommelle, seulement parce que ça l'embête de passer pour mon père. Il ne connaît pas la version pédophile de l'histoire et la réputation que je viens de lui faire dans son dos. Pauvre vampire. Il a l'éternité pour que ça le suive.

-On rentre à la maison ? je demande, m'appropriant déjà le manoir comme étant mien.