Détente

Je garai ma voiture dans l'allée de garage et rentrai. Je ne fis même pas attention au chat quand il vint se frotter entre mes jambes pour réclamer à manger. Je jetai distraitement mon manteau sur le portemanteau et me rendis dans la cuisine pour boire un verre de lait. Puis j'allai dans la salle de bains et me fis couler un bon bain chaud. Cette rencontre m'avait mise sens dessus dessous et j'avait grand besoin d'un instant de détente. En me déshabillant, je surpris ma silhouette dans le miroir et ce ne fut pas une vision très agréable. Des poils roux avaient commencé à recouvrir mes épaules et le haut de mon dos, et mes dents étaient devenues encore plus pointues. Ma mutation se poursuivait, entraînant chaque jour son lot de mauvaises surprises. Je n'osais pas penser à ce qu'il se passerait quand mes transformations deviendraient trop voyantes. Je devrais sûrement abandonner mon boulot, car même la complicité de mes collègues ne suffiraient pas à me protéger si le patron apprenait la chose. Bon , mieux vallait ne pas penser à ça maintenant. Je retirai ma culotte et plongeai dans la baignoire brûlante. J'ajoutai des sels de bain, fermai les yeux et oubliai tout mon stress de la journée. Après une journée de travail acharné et cette rencontre peu agréable, j'avais plus que mérité cet instant de détente. J'étais si bien que je finis par m'endormir.

Il faisait nuit noire et personne à l'horizon, j'en profitai pour passer en vitesse sans être vue. Je traversai la rue en vitesse et me cachai derrière les poubelles. Je faisais moi-même peu de bruit, mais les armes dans mon sac cliquetaient. Discrètement, je me faufilai jusqu'à la maison d'Aline. Ca faisait bien un mois qu'on ne s'était pas vues, elle allait avoir une sacrée surprise. Je traversai la petite cour en passant dans l'ombre, contournai la voiture, et arrivai à la porte. Je m'apprêtai à frapper, mais me ravisai. Ce ne serait pas une vraie surprise si elle me voyait d'abord par l'oeil de la porte avant de m'ouvrir. J'avisai le lierre sur la façade et souris. Je tirai un peu sur la plante grimpante, elle était assez solide. Je grimpai, usant de mon habileté féline pourescalader la façade sans effort. La chance était avec moi: la fenêtre était entrouverte. J'entrai, posai mon sac dans le couloir de l'étage et tendis l'oreille. La maison avait peu changé depuis ma dernière venue. J'entendis du bruit du côté de la salle de bains et y filai. Je crochetai la serrure avec une facilité déconcertante. Je lui avais pourtant dit de faire changer régulièrement les serrures. J'entrouvris la porte et la vis dans sa baignoire, les yeux fermés avec un grand sourire. Je m'approchai en m'empêchant difficilement de rire, et quand je fus juste devant elle, j'éclatai.
"SALUT ALINE !!!"

"SALUT ALINE !!!"
Le hurlement me fit sursauter comme je n'avais jamais sursauté. En une seconde, la moitié de l'eau du bain fut renversée. Après une dizaine de secondes d'intense panique, je me retrouvai debout sur le lavabo, essayant vainement de couvrir mon corps avec un gant de toilette. Quand je reconnus enfin Bingo, je repris mon calme.
"Mais enfin ! Ca va pas de me flanquer une pétoche pareille ?!"
Je la regardai un moment avant de la srrer dans mes bras.
"Mais bon sang, ça fait tout de même du bien de te revoir !'
Nous nous connaissions depuis très longtemps. Au collège, elle me défendait quand je me faisais racketter, et moi je l'aidais pour les devoirs. Au lycée nous faisions la paire: elle les muscles et moi la tête. Il n'y a qu'après que nous nous sommes séparées. J'étais partie faire mes études et elle avait arrêté les siennes après le bac. Nous avions suivi des voies différentes, mais au fond de nous nous étions toujours très proches. Ca devait bien faire trois mois que nous ne nous étions pas vues. Je songeai qu'elle ne devait pas être au courant pour ma mutation. Enfin, était elle-même une hybride elle devait bien me comprendre.
"Laisse-moi le temps de m'habiller et je t'explique tout."

Je regardai Aline, un peu étonnée. En entrant j'avais vu ses cheveux roux et je croyais qu'elle s'était faite une teinture. Mais maintenant qu'elle était nue devant moi, je voyais ses poils roux sur les épaules. Le mot me vint immédiatement en tête: hybride. Je n'étais pas au courant, elle était encore humaine la dernière fois que je l'avais vue. J'avais l'intuition qu'elle avait beaucoup de choses à me raconter. Rien que la façon dont elle avait réagi en me voyant m'étonnait. Bon, d'accord, j'avais crié très fort, mais tout de même...
"J'ai hâte de voir où tu en es depuis la dernière fois. Toujours dans ton labo ?"
Elle hocha la tête, un peu embarassée.
"Ok, j'vais nous faire du café pendant que tu t'habille. J'suis trop contente de te revoir !"
Le fait qu'elle soit hybride ne changeait rien entre nous. Etant moi-même une hybride, je comprenais parfaitement. D'après ce que j'avais vue, elle devait tenir du renard. Pas étonnant, elle avait toujours été terriblement maligne. En plus, ça lui allait mieux qu'à moi, la fourrure. Je descendis à la cuisine et préparai le café, elle n'avait même pas changé l'emplacement de son percolateur. Il était temps que je revienne pour secouer un peu tout ça.

Je laisse Bingo descendre à la cuisine et attrape des vêtements propres dans la penderie de ma chambre. Ca me faisait plaisir de la revoir après tout ce temps, mais j'aurais tout de même préféré que ce soit à un autre moment. Enfin bon, elle pourait peut-être m'aider à résoudre certains problèmes. Une fois habillées, je descendis et pris une tasse de café avant de m'installer en face de mon amie.
"Et bien, oui, je suis une hybride. Ca a commencé au début du mois. Jusqu'à présent j'ai réussi à le cacher, mais aujourd'hui, le directeur de recherche a compris. Il a voulu me dénoncer à la police, mais mes collègues ont..."
Je m'interrompis pour avaler une longue gorgée de café bouilant.
"...Ils l'ont tué pour conserver mon secret. Je n'aurais jamais soupçonné que le pouvoir de l'amitié soit si puissant. Depuis le début de ma mutation, j'ai commencé à faire de grandes recherches sur les hybrides. Je cherche un moyen de tous nous guérir. Imagine un peu si mes recherches aboutissent, nous n'aurions plus besoin de nous cacher. Nous pourrions enfin nous intégrer sans problème dans la société."
Je me mis à regarder en l'air, les yeux pleins de rêves de découvertes.

Je souris en voyant arriver Aline. Mais ce sourire s'estompa quand elle me parla de ses recherches. Guérir les hybrides ? Mais pourquoi diable ? Nous ne sommes pas malades. Je me levai et la toisai.
"Pourquoi tu dis ça ? Nous n'avons pas besoin d'être "guéris", comme tu dis. Nous n'avons pas à avoir honte de ce que nous sommes. Nous sommes hybrides, et alors ? C'est notre droit ! Nous ne faisons de mal à personne en étant hybrides. Moi je tue des gens, mais je le ferais tout de même si j'étais humaine. Et puis pourquoi ce serait à nous de changer pour faire plaisir aux humains et pas l'inverse ?!"
Je me rassis, but une gorgée d'expresso et continuai sur un tom plus calme.
"La vérité c'est qu'ils sont jaloux. Nous leurs sommes supérieurs. Nous sommes plus forts, plus rapides, plus agiles. Et eux ils sont condamnés à stagner éternellement dans l'évolution. Regarde-toi ! Ta mutation ne t'empêche pas d'être belle et gentille. Tes collègues ont eu raison de te défendre. Oui tu es une hybride, mais tu as toujours été et tu sera toujours l'incarnation du mot gentillesse. Moi aussi je serais prête à tuer pour te protéger. Bois, ça va être froid"

Je regardai mon amie avec un air grave. Dans le fond, elle avait peut-être raison. Peut-être bien que je faisais fausse route en recherchant un antidote pour soigner les hybrides. Mais je me demandais tout de même ce que j'allais bien pouvoir faire si ma mutation se poursuivait.
"Tu es gentille, mais je ne te demande pas de tuer toute la France pour me protéger. J'espère bien ne pas me faire d'ennemis. Je ne sais pas si je fais bien de chercher un antidote mais honnêtement, je me vois mal faire mes courses avec du poil aux pattes. Toi-même je me demande comment tu vas faire si ta mutation se poursuit. Car elle finira bien par se poursuivre. J'ai découvert que si les cellules se mettaient en stase chez la plupart des individus, leur évolution finissait toujours par arriver à son terme tôt où tard. Et alors là, ils n'ont presque plus rien d'humain."
Je finis ma tasse de café et baissai le tête.
"Non, vraiment, je crois que je suis foutue. Un jour je serais tout simplement insortable, je ne pourrais plus aller travailler et je finirais à la rue. Et à peine aurais-je mis le pied dehors que je me ferais cueillir par la police et tuée."
Le désespoir me faisait venir des larmes aux yeux. Mais qu'est-ce que j'avais fait pour mériter ça ?

Je regardai Aline s'écrouler lentement sur la table, prête à fondre en larmes. Son désespoir me faisait de la peine, et en même temps me donnait la gerbe. J'atrappai un magasine sur la table, me levai et m'approchai d'elle. Mieux vallait entedre ça que d'être sourde
"Ecoute ! Je comprends que ta situation c'est pas du gâteau, mais tu vas pas te laisser abattre ! Mais tu va t'secouer ?!" criai-je en lui donnant des coups avec le magasine roulé.
Y'avait pas, il fallait que je la secoue un peu.
"Regarde-toi, t'es belle, t'es intelligente, t'es gentille. Si y'a quelqu'un sur cette foutue planète qui mérite de vivre, c'est toi. Et maintenant, regarde les humains qui te jettent au bûcher. Beaucoup sont moches, tous sont méchants avec les gens comme toi et certains sont plus bêtes que leurs pied. Tu ne vas tout de même pas accorder à des types qui valent moins que toi le droit de décider si tu dois vivre ou mourir ! Si le monde était peuplé de gens comme toi, nous vivrions dans une paix perpétuelle, et le savoir serait partout."
Je marquai une pause et regardai son air crédule. Puis je repris avec un ton plus doux.
"Tu es trop gentille, ma pauvre tartelette, non pas que ce soit un défaut. Mais tu te laisses marcher sur les pieds. Je ne serais pas toujours là pour te défendre. Il se pourrait qu'un jour tu te retrouve seule face à un ennemi dangereux, et ce jour là il faudra que tu sache te défendre."