Déambulations [pv Ida]

Je machais vite, je marchais pour oublier. Le meurtre du chef de laboratoire me restait en travers de la gorge. J'avais beau savoir que c'était pour me sauver, ça me foutait toujours les jetons. Il faisait froid et le bois était désert. Je pensais tout de même à rentrer chez moi car on pouvait toujours faire une mauvaise rencontre par ici. J'avais un peu peur. Je me rendis compte que je m'étais un peu perdue. Tout en continuant de marcher, je me mis à chantonner.
"Ils ont des chapeaux ronds..."
Mais ma voix finit vite par me paraître insupportable et je m'arrêtai. Je commençais à me demander si je n'allais pas appeller un ami pour qu'il vienne me sortir de là.

-Vous avez l'air d'avoir des soucis, mademoiselle.

Ça, c'était ma voix, calme, paisible, douce et envoûtante, qui s'adressait à cette jeune dame. Je vous arrête tout de suite lecteur, je ne vais pas la dévorer. Je viens tout juste de mettre les dents dans la carcasse fraîche et fumante d'un avocat du quartier. Je ne suis pas n'importe qui, je suis allée le chercher directement dans son bureau, je me suis assurée qu'il était propre, bien mis et bien éduqué. Une Reine ne croque pas les humains simplement parce qu'elle a faim. Elle épanche sa faim, sa soif et son ennui par le meurtre de créatures dignes de mourir de ses mains, de ses crocs, de sa volonté. Et puis leur mort n'est pas inutile. Ces gens me permettent de vivre plus longtemps en leur volant leur vie. C'est comme le règne animal, mais entre humain. Je ne comprends pas ces gens qui disent que les vampires sont mauvais.

Je regarde la petite blonde avec attention. Ses pensées sont troubles et m'ont attirée, captées au hasard de mes déambulations dans la ville. Moi je ne marchais pas au hasard en fait. Je rentrais à la crypte pour me nettoyer. J'ai une petite tache de sang discrète sur la manche de satin de ma robe, et un autre sur le col. Mais j'ai été attirée vers elle.

-Avez-vous besoin de compagnie ? Les rues ne sont pas sûres pour une femme seule.

Pour deux femmes non plus, mais quand l'une d'elle est Ida de Barancy, le sexe faible n'est plus.

Je regarde bien en face la femme qui vient de m'aborder et hésite. Elle n'avait pas l'air d'une prostituée, ni d'une flic. Elle était très belle, mais avait quelque chose d'intimidant. Je restai donc là à trembler de froid en pesant le pour et le contre. Peut-être était-elle digne de confiance, peut-être pas... Et que ferait-elle si elle dévrouvrit que j'étais une hybride. Elle n'avait pas l'air d'être du genre à dénoncer tout le monde aux flics, mais il existait aussi des gens sadiques qui exerçaient leur cruauté sur de pauvres hybrides comme moi tout en sachant qu'aucune enquête ne serait faite. Mais finalement, ce fut ma trouille qui me poussa à accepter son aide.
"Oui, pourriez-vous m'accompagner jusqu'à la sortie, s'il vous plaît ?"

Je la regarde avec attention, mes yeux sondant bien plus que ses yeux, m'aventurant au-delà de la frontière de son regard. Personne ne peut s'imaginer – sauf les quelques rares possédant le même don que moi – ce que c'est de voir le tourbillon de pensées de quelqu'un d'autre, et d'oublier le sien. Dans la tête de celle-ci, tout se bouscule. Peur, méfiance, envie d'être ailleurs. Ses pensées sont illisibles, comme celles de tout le monde, jusqu'à ce qu'une pensée se détache du lot.

Et que ferait-elle si elle découvrait que j'étais une hybride ?

Mes pupilles s'agrandissent l'espace d'un instant. Pour un humain normal, - ce pour quoi je passe – je donne plutôt l'impression que la noirceur a causé cet agrandissement. Pour moi, c'est le dégoût. Une hybride. Bon … soit. Je viens de manger, une bonne raison de ne pas plonger mes dents là-dedans. Et puis, je l'ai découvert par hasard. Si elle vient à me donner le moindre indice physique de son état, je la tuerai. Mais sinon, je laisserai couler pour ce soir.

-Mais bien sûr ma chère, je glisse doucement en me glissant aussi à son côté.

C'est beau comme le mot chère est l'homophone de chaire. Mais je ne pense pas à ça maintenant, pas avec un monstre. Je préfère encore songer à de la chaire animale … je veux dire … complètement animale. Pas à moitié.

Comme nous le faisions à mon l'époque, je glisse mon bras sous le sien, mes longues jupes blanches glissant sur le tapis de neige qui recouvre le sol du bois, comme deux jeunes filles se promenant dans les rues. Je constate soudain qu'elle porte un manteau pour se protéger un peu du froid. Je réalise que je ne porte que cette robe à l'échancrure profonde et un châle gris perle sur mes épaules. Frissonnant – simulant un frisson – je resserre le châle autour de moi, comme s'il pouvait changer quelque chose à la température. Heureusement qu'elle ne voit pas mes pieds. De quoi aurait l'air une femme à marcher dans la neige en escarpins ?

-C'est une bien belle soirée vous ne trouvez pas ?

Je n'attends pas de réponse avant de poursuivre.

-Vous désirez aller quelque part en particulier une fois que vous serez sortie ? Si c'est le cas, je pourrai vous faire appeler une voiture.

"Oh, non ! Je ne voudrais pas abuser de votre gentillesse, je devrait être capable de retrouver ma maison toute seule."
Cette femme était bien sympathique, mais elledégageait une aura inquiétante. Quand elle me regardait, j'avais l'impression qu'elle lisait dans mes pensées. J'en arrivais presque à regretter d'avoir accepté son aide. En fait, elle me daonnait l'impression de jouer un rôle. Il lui avait fallu un moment avant de montrer signe de froid alors qu'elle était habillée comme pour une soirée d'été. Je me surpris à penser au whalter PPK dans ma poche. Franck m'avait donné ce petit pistolet afin que je puisse défendre ma vie quand il ne serait pas là pour me protéger. Je n'étais même pas sûre de savoir m'en servir au moment crucial, mais ses quelques grammes d'acier me rassuraient.

…dans ma poche.

Qu'est-ce qu'il y a dans sa poche ? Je dois avouer que je me suis montrée un peu inattentive. Je n'ai saisi que la moitié de sa pensée. Mais je sais en tout cas que cette chose dans sa poche la rassure. Pourquoi avoir besoin d'être rassurée en ma présence, je plaisante pour moi-même. Je suis on ne peut plus inoffensive. Quand je le veux… Je tourne ma tête au port de reine vers elle, lui souriant doucement les lèvres closes. Je sais qu'elle est méfiante. Suffirait qu'elle voit mes crocs – même s'ils sont assez petits pour paraître naturels à un humain – pour qu'elle se mette à hurler et à sauter partout comme une hybride sotte. Que dis-je. Tous les hybrides sont sots.

-Ce n'était pas de la charité chère dame. Si nous allons dans les mêmes quartiers … où allez-vous d'ailleurs ? … je ne vois pas pourquoi je vous refuserais un trajet confortable dans une belle voiture de luxe.

Je retourne ma tête vers l'avant. Et de plus, si vous me conduisez chez vous, je saurai qu'une hybride y réside, et quand j'aurai besoin d'un animal pour me distraire dans les catacombes, je saurai à quelle porte cogner … où plutôt je saurai quelle porte faire enfoncer par mes hommes de main. Je ne ressens peut-être pas la douleur aussi fortement que lorsque j'étais humaine – ce temps me paraît si lointain aujourd'hui – je reste fière de mes mains délicates. Le réflexe de les protéger est toujours présent chez une dame de ma trempe.

Cette femme commence vraiment à me mettre mal à l'aise. A présent, je suis sûre qu'elle a quelque chose après moi. Je mets mes mains dans mes poches pour les réchauffer et la droite se resserre sur le petit pistolet autrichien.
"Non, vraiment, ce n'est pas la peine. J'ai ma voiture à la sortie. Et puis pourquoi insistez-vous tant ?"
J'ai vraiment l'impression qu'avec ses beaux yeux elle fouille dans ma tête. Alors je verrouille mes pensées et focalise mon esprit sur une chanson.
"Alexandire...Alexandra... ! Leeeees sirènes du port d'Aleeeeeeexandrie..." chantonnai-je mentalement en suivant la femme.
Tout en cahtonnant, je me demandais ce qu'elle comptait faire de moi. Elle n'avait pas l'air de vouloir me dénoncer à la police, peut-être voulait-elle s'amuser à mes dépends. peut-être qu'elle faisait dans le snuff movie. Si c'était le cas, j'avais vraiment intérêt à trouver un moyen de lui échapper. Elle n'avait pas l'air particulièrement forte et était trop court vêtue pour pouvoir cacher une arme, mais j'avais l'intuition que j'allais avoir du mal à m'en débarasser. D'autant plus que je ne savais pas me battre et que je ne m'étais jamais servi d'un pistolet. Mais dans quelle marmelade m'étais-je fourrée ?!

Pourquoi j'insiste ? Voyons, cette femme est paranoïaque. Il est vrai que je fais plus d'effet aux hommes. Ceux-ci se roulent à mes pieds. Toutefois, à la différence de mes pairs, je peux aussi influer sur l'esprit de quelqu'un du même sexe que moi. Avec moi de force, mais j'en suis quand même capable. Seulement je n'ai pas envie d'user de ce pouvoir maintenant, pas avec elle, qui n'en vaut franchement pas vraiment la peine.

-J'insiste parce que je suis une noble dame bien éduquée, rien d'autre. Et puis j'ignorais que votre voiture était à l'extérieur. Alors au lieu de vous montrer discourtoise en me faisant les gros yeux la main dissimulée dans votre poche – j'aurais plus de raison d'être effrayée que vous – vous devriez me remercier poliment pour décliner mes offres.

J'ai lancé toute cette tirade sans la regarder, sauf lorsque j'ai parlé de la main dans sa poche. J'y ai jeté un coup d'œil discret en fronçant les sourcils. Mais par tous les saints, que croit-elle à mon sujet ? Ai-je l'air de dissimuler une quelconque arme ? Ai-je réellement de la place sous ma jupe pour cela ? Oui la place ne manque pas, mais il me faudrait au minimum une heure pour glisser ma main par-dessous mes jupons pour l'y attraper. Elle aurait le temps de courir. Tout cela pour dire que je ne suis pas dangereuse … à priori.

Je dois avouer que j'ai peut-être user un petit peu de mon pouvoir de compulsion* quand je lui ai offert la possibilité de présenter des excuses et des remerciements.

*pousser quelqu'un par l'esprit à agir selon notre bon vouloir

"Excusez-moi. Je suis un peu nerveuse, j'ai de gros ennuis en ce moment."
En effet, les évènements récents m'avaient marquée à vie. En effet, j'avais apparement peu à craindre de cette femme, mais elle avait un je-ne-sais-quoi d'inquiétant. Elle fixait ma main droite. Savait-elle que j'avais une arme ? Comment était-ce possible. Rien n'aurait pu lui permettre de deviner que ma main droite ne se contentait pas de se réchauffer comme sa soeur jumelle.
"Je vous remercie de votre offre, mais ce n'est pas la peine."
C'est avec un réél soulagement que je vois la sortie. Je souris et ma main relâche le PPK dans sa poche.
"Et bien je crois que nos chemins se séparent ici. Je vous remercie encore de m'avoir aidée. Je crois que sans vous j'y serais encore."
De là où je suis, je vois même ma chère coccinelle bleue. Je n'avais plus qu'à prendre congès de cette femme inquiétante, sauter dans ma voiture et rentrer chez moi pour prendre une bonne douche chaude.
"Ma voiture est juste là, c'est la Volkswagen bleue pervenche sur le trottoir d'en face. Et la votre ? C'est laquelle ?"
Je fais mine d'y aller, sans cesser de surveiller mes arrières.
"Encore désolée pour tout à l'heure, je traverse une période...difficile."

Je regarde la voiture qu'elle m'indique, un sourire satisfait non camouflé sur mes lèvres. Cette sotte vient de m'offrir tout ce que je voulais. L'allure de sa voiture, les excuses et les remerciements que je méritais. Non seulement j'ai l'allure de la voiture, mais j'ai aussi sa plaque d'immatriculation. Bon, à moi, c'est totalement inutile puisque je refuse de fonctionner avec un système de ce genre. Non. Je n'ai qu'à la laisser partir, et ensuite suivre sa voiture en sautant sur les toits ou d'une quelconque autre manière. Elle finirait bien par me mener chez elle, et alors, je pourrais me renseigner sur son nom, ses lieux de prédilection et tout le reste. J'irais ensuite voir mes chers enfants et leur annoncer que la chasse à l'impure est ouverte et que le premier qui m'amènera cette jeune femme en vie et la laisse autour du cou se verra attribuer une bonne récompense. J'adore les envoyer ainsi en chasse. Je n'aime pas particulièrement m'occuper du cas des hybrides. J'aime les voir se battre à mort entre eux, contre des humains ou des anges, mais je n'aime pas avoir affaire à les tuer moi-même, ou même à les pourchasser. J'ai beaucoup mieux à faire de mon temps.

-Je n'ai pas de voiture très chère, enfin, pas ici. Mais comme je vous l'ai dit, j'aurais pu appeler mon chauffeur personnel et il serait arrivé ici en moins de temps qu'il n'en faut pour dire "noblesse".

Mon mot préféré, qui roule si bien sur ma langue.

-Vous m'excuserez charmante amie, mais je ne me suis même pas présentée, alors que la politesse aurait du m'y inciter. Ida de Barancy, je dis en inclinant doucement le chef de façon polie.

Je la regarde se présenter crânement. Cet air hautain, cette façon de prononcer le mot "noblesse", ... Elle devait descendre d'une famille de nobles. Personellement, je n'aimais pas les personnes dans ce genre qui se croyaient supérieures aux autres parce que leur lointain ancêtre servait d'animal de compagnie au roi. Je n'étais pas spécialement attachée aux idées de la Révolution, mais je m'appuyais beaucoup sur l'idée que nous naissons tous libres et égaux.
"Enchantée, Moi c'est...Sandra Mercier." lui répondis-je avec politesse.
Je ne désirais pas donner mon vrai nom à cette femme qui m'était si antipathique. Pour tout dire, je ne voulais pas qu'elle puisse me retrouver tôt ou tard.
"J'ai été absolument ravie de faire votre connaissance, j'espère que nous nous reverrons. A bientôt !"
Je mentais, évidemment, mais la politesse avant tout ! Je lui fis signe de la main et me dirigeai d'un pas rapide vers ma voiture. Plus j'avançais, plus j'accélérai le pas, persuadée qu'elle me suivait. Je bondis presque sur le siège conducteur, mis le contact et partis en trombe. Quand l'entrée du parc ne fut plus en vue, je me sentis nettement rassurée. Quelle drôle de personne !

Sandra Mercier. Je souris en entendant ce nom. Quelle sotte fait-elle si elle croit que je me laisserai avoir. Je me meurs d'autant plus d'impatience de l'avoir dans mon arène et de la regarder mourir des mains d'un autre hybride. Aline … J'ai bien saisi son nom quand elle a pensé à celui qu'elle allait me donner. Pauvre chérie. Elle n'a aucune idée de ce qui l'attend, et ce picotement entre les omoplates alors qu'elle conduit pour se rendre chez elle, elle le prend simplement pour la peur banale d'une femme seule pour une ville habitée de gens dangereux. Si pressentiment elle a, il ne lui sera d'aucune utilité.

Rapide et furtive comme la lumière et l'ombre, je suis ses déplacements jusqu'à un petit quartier fort sympathique et riche. Peu de maisons, toutes belles, et la voiture de "madame Mercier" qui s'engage dans la cour d'un magnifique manoir. Tout à fait dans mes goûts. Une fois qu'elle sera morte, je pourrai me l'approprier et en faire ma demeure secondaire … L'une de mes nombreuses demeures secondaires. Je souris, mémorisant l'adresse en un clin d'œil.

C'est de très belle humeur que je repars en direction des catacombes, prête à passer l'annonce que la chasse au monstre est ouverte, et que celui qui me ramènera cette petite créature inoffensive mais ignoble se verra grassement récompensé.